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Questions pour un champion (1997-2009)

Voilà quelques années que je regarde de temps à autre la célèbre émission télévisée de jeux intitulée Questions pour un champion. J’ai bien quelques réserves à son sujet, notamment sur la nature de certaines questions, que je situe personnellement en dehors du champ de la culture générale. L’animateur Julien Lepers me paraît cabotiner plus que de raison et sa diction effrénée n’est pas toujours des plus intelligibles. Mais globalement, je trouve que ce rendez-vous presque quotidien sur une chaîne publique vaut beaucoup mieux que les couillonnades proposées démagogiquement par la concurrence des chaînes privées.

Ayant appris qu’il existe alors une petite vingtaine de « Clubs Questions pour un champion » sur l’ensemble du territoire français et qu’il n’y en a aucun en Alsace, l’idée d’en créer un me vient à l’esprit peu de jours avant qu’une femme me téléphone pour me soumettre le même projet. Une amie lui a communiqué mon numéro qu’elle avait pu obtenir de moi après une visite guidée. J’accepte donc de participer à la création du premier club alsacien permettant de jouer presque comme pour de vrai au fameux jeu animé par Lepers. Ce sera le club de Strasbourg, où je n’habite plus, mais c’est sans importance. Je ne souhaite pas en être le président et abandonne cette fonction à l’instigatrice, une femme dans la trentaine qui, à vrai dire, ne m’inspire pas grand-chose. Je m’y distingue d’emblée et devient le concurrent à vaincre.

Arrive un jour cette nouvelle que Lepers veut organiser une émission spéciale réservée aux clubs QP1C de l’hexagone. La vingtaine de clubs existant alors est priée d’organiser une sélection interne. Dix de ces vingt clubs répondent favorablement : cela tombe bien puisque dix candidats
au maximum seront invités à Paris pour l’enregistrement de cette « Spéciale clubs ».
Je sors vainqueur du concours strasbourgeois. Je vais donc devoir assumer la lourde responsabilité de représenter Strasbourg et l’Alsace tout entière, face à neuf autres sélectionnés.
La régie a prévu de fournir à chacun des hommes une veste, une chemise blanche et un nœud papillon et à chacune des femmes une robe et un maquillage féminin. Pantalons et chaussures n’ont pas été programmés, puisque les candidats ne sont visibles à l’écran que de la tête à la ceinture. Deux séries de cinq candidats sont composées par la production, selon des critères qui ne sont pas divulgués. La règle est la suivante : les deux gagnants de la première série s’affrontent ensuite pour la finale des finales, en face à face uniquement (troisième et dernière séquence d’un jeu classique). Celui ou celle qui l’emportera sera proclamé(e) vainqueur du « premier grand tournoi des clubs », celui de 1997.

Je suis tendu dès le départ du train qui, à cette époque, nous amène à Paris en quatre longues heures. L’accueil des participants est des plus bienveillants. Le costume qu’on me procure semble seoir à merveille. C’est en tout cas ce qu’affirmera mon épouse habituelle et préférée Marlène.
Le trac et les projecteurs me font transpirer, alors que l’impression que je donne aux autres concurrents est celle, disent-ils, d’un homme calme qui en a vu d’autres. Ils m’avaient vu à l’écran six mois plus tôt dans le cadre de l’émission ordinaire. J’avais été battu au face à face final par une jolie créature qui avait préféré ne pas jouer une deuxième fois, au risque de tout perdre. En conséquence de quoi j’avais été invité à prendre sa place, pour perdre encore une fois en finale !…Contre un crack qui l’emportera quatre fois de plus et gagnera ainsi une cagnotte d’environ 30 000 euros.

Je rejoins mes adversaires dans un espace peu accueillant où traînent des câbles, des projecteurs, des bâches et toutes sortes de bidules dont l’utilité m’échappe. Il n’y a là que quelques vilaines chaises et un sofa qui semble venir tout droit d’Emmaüs. On aperçoit le plateau d’enregistrement à travers un intervalle entre deux rideaux crasseux.
Beaucoup de lumière sur ce plateau, auquel nous accéderons bientôt. Une dizaine de dispositifs en forme de lutrin sont en place, formant ensemble un demi-cercle, chacun muni d’un gros bouton, le fameux « buzzer », qui est en fait un avertisseur sonore, sur lequel il s’agira d’appuyer plus vite que tous les autres. Trois caméras de grosse taille sont réparties à l’arrière-plan, disposées de manière à ne jamais être vues par les téléspectateurs.

Vient le moment de rencontrer la star, l’ineffable Lepers. Je serai le dernier à répondre à ses questions. Il a de petits cartons pour noter ce qui lui paraît intéressant à dire au moment de l’enregistrement. Il n’est pas désagréable, juste un peu satisfait de sa personne… Puis ce seront les essais. Des gens du public sont invités à faire semblant et les concurrents pourront ainsi commencer à se mettre dans le bain.
Je réponds à plein de question, depuis ma coulisse. Mais je suppose qu’on a servi un menu très allégé aux cobayes qui ont bien voulu se dévouer pour la simulation.

Et voici venue l’heure fatidique. Je ferai partie du premier groupe de cinq : deux femmes, trois hommes. Je ne suis pas le doyen, mais pas le plus jeune non plus. Rapide réglage du son et des éclairages, puis chacun se présente brièvement, histoire de se décontracter un peu.
On n’enregistre pas encore. Il doit y avoir une petite centaine de spectateurs. Un chauffeur de salle lance quelques vannes bien grasses pour mettre le public « en condition ».

Et voici que les cinq premiers entrent sur le plateau… Dans ma poitrine, mon cœur se signale avec éloquence. Le tout est de marquer les premiers points pour éviter le zéro absolu et le ridicule qui va avec. Je ne serai pas le premier à démarrer, mais pas le dernier non plus. Une réponse à trois points me fait passer devant les quatre autres. Me voilà en tête, mais l’épreuve est encore longue ! Il faut avoir la réaction rapide, Après s’être fortement concentré sur la parole précipitée de Lepers, il faut avoir du réflexe. Il y a des choses qui me laissent inerte. Quand il s’agit, par exemple, de trouver le nom de l’animateur d’une émission de télé ayant pour vocation d’abêtir les gens. Je termine à la deuxième place cette première manche (les « neuf point gagnants ») et suis donc qualifié pour le « 4 à la suite », en même temps que le vainqueur de cette première manche.

Le questionnaire que je tire au sort porte sur la cantatrice Maria Callas. Une aubaine ! Le mélomane que je suis devrait pouvoir s’en tirer, non ? Si, bien sûr. Et avec brio : je réussis un « 4 à la suite », c’est-à-dire que je réponds juste à quatre questions consécutives et termine cette seconde épreuve encore une fois deuxième, car le futur vainqueur de la première épreuve (et finalement du tournoi) ayant également réussi un « 4 à la suite », il gagne cette deuxième séquence. Nous voilà tous les deux qualifiés pour la finale de notre groupe de cinq, le « face à face ». Et là, misère pour moi, il va m’infliger une cuisante défaite sur le score sans appel de 15 à 4. Je ne serai donc pas l’un des deux finalistes du premier tournoi national des clubs Questions pour un champion. Mais comme la perdante en finale de l’autre groupe de cinq a fait moins bien que moi au « Quatre à la suite », je suis considéré comme troisième de cette compétition ayant réuni dix candidats… Au fond de moi-même, accablé dans la coulisse, tandis que souffrent les participants du deuxième groupe de cinq, je me réconforte en me disant que ce concours était à ma portée…si le vainqueur de mon groupe n’avait pas été de la trempe du champion final qu’il sera un peu plus tard !

De retour à Sélestat, je vaque à mes occupations habituelles. Le tournoi des clubs doit être diffusé sur France 3 quelques semaines plus tard, en prime time, c’est-à-dire à partir de 20 h 45. Le soir de cette diffusion, la voisine du dessous vient frapper à notre porte vers 22 h 30, à peine la retransmission terminée. Suffocante, après les douze marches qu’il lui a fallu gravir à la hâte, cette volumineuse et gueularde femme proclame qu’elle a « vu Monsieur Ehret à la télé, qu’elle est fière d’avoir un « foissin » comme moi, que son mari m’a trouvé super et qu’elle me remercie d’avoir fait de la réclame pour Sélestat ! ». Je formule une invite à prendre un verre, mais par bonheur elle décline avec ces mots : « Non, non ! Une autre fois peut-être ! Je n’ai pas voulu vous dérancher. Merci et au r’war…Et ponne nuit, hê ! ». Elle redescend chez elle en intercalant des ahans de locomotive entre les grincements des marches d’escalier.

Dès le lendemain de cette émission et pendant plusieurs mois, il ne passera pas un jour, puis pas une semaine sans que quelqu’un ne me félicite pour ma performance au jeu télévisé de Julien Lepers. La presse locale consacrera un bel article à ce sujet. Parmi les gens que je guide, à Riquewihr, à Ribeauvillé ou à Sélestat, il y en a toujours deux ou trois qui m’ont remarqué à la télé et qui se disent heureux de me voir en vrai ! Je n’avais pas du tout mesuré l’importance des retombées d’un tel passage sur une chaîne de télé à une heure de grande écoute.