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L’amitié de François-René Duchâble, pianiste hors normes (2021)

Mon ami Lionel me ramène, comme chaque année depuis 1999, le bonheur de guider à travers Sélestat, Colmar et Riquewihr deux classes de troisième du collège Danton de Balkany-Perret. Pardon, vous aurez peut-être rectifié de vous-mêmes : de Levallois-Perret, Hauts-de-Seine.
C’est devenu un rituel printanier, dont cet excellent prof d’histoire-géo me régale, en y associant aussi Marlène pour l’ultime soirée de leur séjour alsacien, celle, devenue incontournable, du Mont Sainte-Odile.

Cette année, la visite de Colmar sera enrichie d’un événement exceptionnel. J’ai appris par la presse que la mairie de Colmar, répondant à la proposition d’un musicien de grande réputation, le pianiste François-René Duchâble, offre aux passants, ainsi qu’aux touristes découvrant les
beautés de la ville, la possibilité de rencontrer ce musicien d’une manière totalement originale. Il ne sera pas installé quelque part derrière un vaste piano à queue, mais il circulera dans les rues et ruelles, juché sur un improbable triporteur sur lequel se trouve fixé le clavier d’un piano
numérique. Il sera accompagné de Sandrine Sutter, sa compagne, une mezzo-soprano de bon niveau, ancienne élève de Régine Crespin.

Depuis quelques années, Duchâble a mis fin à sa carrière de pianiste international. Après s’être produit dans les plus grandes salles de concerts du monde, en récital ou avec orchestre, après avoir joué sous la direction des plus grands chefs, tels que Karajan, Abbado, Prêtre, Temirkanov, Sawallisch, Plasson, Svetlanov, Lombard, Casadesus, Jordan, Nagano,
Nelson ou Gardiner, il choisit de consacrer ce qui lui reste d’énergie et de longévité à sensibiliser les publics les moins avertis, ceux de la rue, ceux des scènes rurales, ceux des cercles associatifs. En Alsace, il participe deux fois, monté sur son triporteur-piano, à la journée des déplacements non polluants (vélos, tricycles, trottinettes et autres solutions de mobilité douce), une manifestation de masse, qui attire plus de quarante mille participants sur la route des vins d’Alsace, entre Bergheim et Scherwiller.

Il est donc annoncé à Colmar (avec sa compagne), au moment où je suis moi-même dans cette jolie ville, occupé à guider une cinquantaine d’adolescents et six adultes accompagnateurs, parmi lesquels notre ami Lionel Ménétrier. Je ne suis pas certain de rencontrer ce triporteur et
le vélo de sa compagne, mais je le souhaite ardemment. Et ce souhait sera si vif que le hasard l’exaucera au moment où je m’apprête à revenir vers mon point de départ, à l’approche du repas de midi. C’est devant le musée Unterlinden que nous avons pris l’habitude d’achever notre balade colmarienne et c’est sur notre trajectoire, à proximité de la collégiale Saint-Martin, que se sont arrêtés les musiciens au moment où je les entends. Nous les rejoignons alors qu’ils terminent une pièce pour clavier et voix de femme à l’intention d’une petite vingtaine de passants, touristes pour la plupart.

J’aborde le pianiste, tandis que son épouse la chanteuse Sandrine Sutter s’entretient avec des auditeurs. Je présente Lionel au pianiste, ainsi que les autres enseignants, en attirant son attention sur Michel, dont le patronyme est Magnifique, ce qui lui sied à merveille. Car notre Michel a pris des cours de chant lyrique, est capable de déchiffrer une partition à vue, ou presque, ce que je précise à Duchâble. C’est alors que se produit quelque chose d’assez impensable : le professeur de collège est invité par un des plus célèbres pianistes du moment à chanter en duo avec Sandrine Sutter, mezzo-soprano réputée. Ce trio improvisé s’entend sur un extrait du Magnificat de Bach…

J’ai gardé une vidéo qui a été réalisée par un des élèves de Lionel. C’est bouleversant. Il y a là deux classes de 25 adolescents. Tous figés par l’étonnement. Autour d’eux la foule grossit. Le passage couvert sous lequel nous sommes rassemblés est celui qui, au Moyen Âge, abritait
un petit marché aux oléagineux. C’est parfait pour l’acoustique. Duchâble a converti son piano numérique en petit orgue. Et c’est tout simplement merveilleux. Michel Magnifique fait ce qu’il peut avec son petit volume de voix, mais il chante juste et son entente avec la cantatrice est touchante. On la voit encourager son partenaire improvisé de plusieurs sourires de délicate bienveillance. Et lorsque cela s’arrête, c’est une ovation, à la fois de la part des scolaires et de celle des badauds. C’est exactement ce genre d’émotion que François-René Duchâble, qui
a connu d’immenses succès à travers le monde, cherche à susciter en apportant l’universalité là où la tendance est à l’individualisme et au repli.

Merci infiniment à cet artiste, à sa compagne, à tous ceux qui ont pris le temps de s’arrêter par un joli matin d’avril, au cœur d’une ville ancienne d’Alsace, pour que vivent l’humanisme et la beauté.