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La durable saga des « visites guidées musicales » (1988-2019)

J’ai toujours eu en tête, ce qui peut paraître ou démagogique ou confusionniste, l’idée de mélanger les genres, qu’il s’agisse de concert, de conférence, de banquet animé ou d’autre chose qui soit de l’ordre du spectacle. Lisant un jour, assez distraitement, une plaquette consacrée au célèbre château alsacien du Haut-Koenigsbourg, je suis tombé sur la description partielle de la cérémonie officielle d’ouverture au public : ce colossal monument de conception néo-médiévale n’imaginait pas encore le succès qu’il allait connaître à partir des années de l’entre-deux guerre. On y mentionnait l’idée qu’avait eue le très fier et suffisant empereur Guillaume II. Durant le temps du retour de l’Alsace au sein de l’empire germanique, période appelée Reichsland par les historiens locaux (1871-1919, ce potentat avait reçu en don de la Ville de Schlettstadt (aujourd’hui Sélestat) la gigantesque ruine d’un burg juché sur l’angle aigu d’un triangle montagneux. Le Kaiser à moustache crochue en conçut rapidement le plan de reconstruire cet ancien château fort burg…Alors qu’en 1908 les travaux pharaoniques touchaient à leur fin, il avait projeté de conduire lui-même la visite guidée de « sa » forteresse et aussi de jalonner le parcours de pauses musicales.

Eh ! bien figurez-vous ceci : cette formule de « visite guidée musicale », j’y avais songé moi-même dès le début de ma carrière de guide, en 1984. Mais pour ce qui était de la finance, il m’avait fallu quatre années supplémentaires pour convaincre la municipalité de Riquewihr. Nous en étions à ce moment précis au début de l’inquiet et très inquiétant XXIe s. Ira-t-on quand même jusqu’à me faire passer pour un plagiaire ? Ce serait dans ce cas une injustice de plus à inscrire au répertoire bien étoffé de toutes celles qu’il m’aura fallu essuyer durant les huit (ou neuf ?) décennies de ma parenthèse anthropique !

Ma position sur ce sujet est absolument limpide : on ne devrait pas pouvoir me reprocher l’espèce de suave autosatisfaction par moi éprouvée, et par moi seul, au moment d’apprendre qu’un empereur, s’inscrivant en droite ligne dans les us et coutumes du prestigieux « Saint-Empire Romain Germanique », ait pu, 76 ans avant celui dont vous lisez présentement la prose, nourrir un projet comparable à celui qui m’avait inondé l’encéphale en 1984, trois ans après l’accession au trône du monarque républicain Mitterrand Ier. Cette historique trouvaille finira-t-elle par m’être attribuée à titre posthume ?…Dans l’affirmative, il s’avèrera peu douteux, et d’ailleurs profondément regrettable que, au stade où en sera le processus de ma décomposition charnelle, cette tardive reconnaissance ne consolera plus ma conscience à jamais évaporée…

Voici, dans l’ordre chronologique les visites guidées musicales que je situerais volontiers dans le top 10 des meilleures réussites :

1990 : Première participation de l’ami Roger Siffer à Riquewihr : plus de 400 personnes et risque d’extinction de voix pour le guide comme pour le chanteur !

1997 : Plus de 600 personnes pour la cinquième édition d’une série de 25 à Sélestat, lors du deuxième mandat du maire Pierre Giesch, successeur de Gilbert Estève, magistrat et ancien directeur de cabinet du ministre Jack Lang. Nous ne sommes pas encore sonorisés et une bonne moitié de la foule entend mal ou même pas du tout !

2003 : La première à Kaysersberg, avec Roger Siffer : nous sommes totalement débordés après avoir largement sous-estimé l’affluence possible ! Nous tablions sur 200 à 300 personnes et pensions pouvoir nous dispenser de sonorisation… D’après la presse et les estimations de la mairie, près de 800 personnes nous ont suivis sur les trois-quarts du parcours, les autres ayant dû renoncer avant !

2003 : Une première très prometteuse à Erstein, voulue par le maire de cette ville de 10 000 habitants. Le patrimoine historique y est moins riche qu’ailleurs, mais la volonté municipale (Théo Schnée, maire) compense largement !
D’autres visites guidées musicales auront lieu par la suite, à Hunawihr, Kintzheim, Bergheim, Ribeauvillé et Muttersholtz…

2014, 2015, 2016, 2017 : Vifs succès pour les visites de Kaysersberg, avec les musiciens du groupe Hauvoy musique médiévale et renaissance, avec aussi Guy Ferber, trompettiste de niveau international, et avec mon ami le ténor Eric Vivion, qui donne envie à nombre de spectateurs de fréquenter un peu plus l’opéra !

2019 : Une première à Bergheim, mais qui sera aussi la dernière…Plus de 400 spectateurs. Des incidents divers et l’insuffisance des moyens mis à notre disposition provoqueront une cassure : une partie du public croira la balade terminée après l’apothéose dans l’église (sublime duo trompette et orgue, avec Guy Ferber et Jean-Louis Thomas…En 2020, tout s’arrêtera partout, avec le prétexte du covid, mais du fait surtout d’une inquiétante réalité : l’argent public ruisselle beaucoup moins vers la culture que dans la direction des actionnaires des grandes entreprises, ou pour renforcer le budget de la tuerie légale qu’on appelle l’Armée, avec un grand A !